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La plupart du temps, les applications qui sont développées sur la blockchain sont créées et gérées par des entreprises. Mais certains projets prennent le parti de décentraliser aussi les prises de décision sur le futur du développement, c’est ce qu’on appelle la “gouvernance” du projet.

La gouvernance sur la blockchain est perçue comme une véritable évolution dans la manière de gouverner, avec une véritable transparence et la possibilité de coordonner des entités indépendantes les unes des autres.

Pour autant, peut-on espérer la gouvernance parfaite grâce à la blockchain ? Pour le sujet de cette semaine, nous allons voir que c’est plus compliqué que ça :

L’utilité du token est déterminante

Pour qu’il y ait une gouvernance, il doit y avoir possibilité de voter. Sur la blockchain, la plupart des projets possèdent leur propre cryptomonnaie dite “token” qui permettent à leurs détenteurs de voter sur des propositions de gouvernance.

Aave, Aerodrome, MakerDAO…Tous ces projets possèdent leur propre token qui représente un pouvoir de vote dans la gouvernance.

L’utilité de ce pouvoir de vote peut être variable. Il peut n’avoir aucune utilité tout comme il peut conférer un contrôle total aux détenteurs de tokens.

On peut distinguer 3 cas de figures pour les tokens de gouvernance

Le token ne possède pas d’utilité

Si on prend des protocoles comme la plateforme d’échange décentralisée Uniswap ou le protocole de prêts et d’emprunts Morpho, leur token respectif ne possède presque aucune utilité.

Puisque le token n’a pas vraiment d’utilité, il ne peut pas y avoir d’intermédiation car il n’y a aucune responsabilité associée à l’utilisation de ces tokens.

La responsabilité du projet dépend donc uniquement de l’équipe de développement du projet, ou de l’entreprise qui a créé le projet (Uniswap Labs pour Uniswap, Morpho Labs pour Morpho)

Le token possède une utilité spécifique (Curve, Velo/Aerodrome...)

Dans ce cas de figure, les détenteurs de tokens sont invités à fournir des informations extérieures au protocole. Par exemple, on a les "weekly gauges" de Curve ou Velo/Aerodrome où les détenteurs de tokens doivent voter sur des pools de liquidités afin d’améliorer leurs rendements.

Pour ces tokens qui possèdent une utilité précise, il existe des intermédiaires permettant de voter à notre place. Ce sont des “liquid wrappers” dans lesquels on échange le pouvoir de vote de nos tokens contre les bénéfices liés à nos votes (plus de rendement par exemple)

https://www.defiwars.xyz/wars/velodrome

Exemples :

- Convex pour Curve

- Aura pour Balancer

- Penpie pour Pendle

- OpenX pour Velodrome

Si le Liquid staking permet d’obtenir les rendements du staking d’ETH sans avoir besoin de staker, alors les liquid wrappers permettent d’obtenir les avantages du vote sans voter.

Le token contrôle (presque) tout (MakerDAO, Aave...)

Pour ce genre de gouvernance, celui qui possède le token possède le protocole. MakerDAO et Aave sont les meilleurs exemples pour illustrer cette catégorie, où les détenteurs de tokens ont le dernier mot sur les décisions prises.

La participation des détenteurs de tokens est indispensable, pourtant cela implique également d’avoir des connaissances approfondies sur le protocole, surveiller son activité, et tout le monde n'a pas le temps ou l'énergie pour le faire.

En réponse à ça, on crée des intermédiaires appelés « plateformes de délégation ». Les plateformes de délégation peuvent être considérées comme des « partis politiques » ayant un projet d'avenir pour le protocole, et les utilisateurs en accord avec cette vision peuvent leur déléguer leur pouvoir de vote.

Les plateformes de délégation peuvent oeuvrer en tant que bénévoles, mais elles peuvent également présenter un projet à grande échelle qui peut être validé et financé par la DAO.

Dans la pratique, il existe toute une multitude de plateformes de délégation, donc voici une liste d’exemples spécifiquement pour Aave:

La liste complète pour Aave

Sur chacune des propositions de gouvernance d’Aave, on trouve généralement entre 5 et 10 plateformes de délégation qui concentrent la majorité du pouvoir de vote, ce qui représente tout de même une intermédiation importante.

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Le compromis entre la décentralisation et l’efficacité

Pour résumer ce qui a été dit plus haut :

  • Tokens sans utilité (pour l'instant)  ⇒ Rien
  • Tokens avec une utilité précise ⇒ Liquid Wrappers
  • Token à utilité générale ⇒ Plateformes de délégation

Plus un token à d'utilité, plus le pouvoir de vote est concentré en un nombre réduit d’acteurs. Seulement, on se retrouve avec les mêmes craintes de centralisation : il suffit que ce nombre réduit d'acteurs fassent collusion pour obtenir le contrôle total.

La solution bête et méchante consiste à augmenter le nombre de participants et faire en sorte que tout le monde ait la même importance. Mais en réalité, on soulève un autre problème : plus une gouvernance est décentralisée, moins elle est pilotable.

En règle générale, les gouvernances décentralisées mettent beaucoup plus de temps à atteindre leurs objectifs et à réagir en cas d’urgence.

Pour donner un ordre d’idée, une proposition d’amélioration d’Ethereum (EIP) met plus d’un an pour passer de la spécification technique au déploiement, alors que ces mêmes EIPs peuvent être déployés sur des Layer 2 (Optimism, Arbitrum…) en seulement quelques semaines.

Certes, la gouvernance d’Ethereum est beaucoup plus décentralisée que celle des Layer 2. Mais dès lors que l’on souhaite avoir un développement qui avance vite et bien, on est obligés de désigner des leaders.

Le contrôle total ne marche pas

Dans la finance décentralisée, il y une réflexion croissante sur l’utilité des tokens dans un projet, et plusieurs constats ont été réalisés :

Le token qui permet de tout contrôler dans un protocole est une solution de moins en moins viable. Bien sûr, il y a des exceptions à cette règle, comme Aave où toutes les décisions sont prises par les possesseurs de tokens, et il y a un compromis pertinent entre la décentralisation de sa gouvernance et son efficacité.

Mais dans l’histoire de la DeFi, il y a eu beaucoup de casse :

  • Certains projets comme Uniswap possèdent un token, mais leur gouvernance n’a aucune influence sur le développement
  • Dans un autre registre, des protocoles ont subi des “attaques de gouvernance” par des utilisateurs ayant acquis un maximum de tokens pour faire valider des décisions malveillantes (comme l’attaque du protocole Mango)

Un protocole sans gouvernance ne marche pas non plus

Puisque la gouvernance peut représenter une menace pour un projet, certains acteurs ont conçu des projets sans gouvernance. Par exemple, l’émetteur de stablecoin Liquity V1 n’avait aucune forme de gouvernance, et son fonctionnement reposait uniquement sur la théorie des jeux.

Si la première version de Liquity a bien fonctionné au début, il s’est avéré au fil du temps que les conditions de marché ont changé, et que le système n’était plus adapté pour fonctionner correctement.

En définitive, la simple théorie des jeux ne suffit pas. Pour aligner les intérêts de tous les participants d’un projet, nous devons avoir un token mais sans pour autant qu’il devienne une menace pour le projet.

Le compromis qui marche le mieux à l’heure actuelle est le token à utilité limitée, c’est-à-dire qu’il n'influence qu'un seul paramètre du projet :

  • Le token VELO de Velodrome influe sur les rendements perçus par les fournisseurs de liquidité
  • Le Token LQTY de Liquity V2 va permettre de distribuer 25% des intérêts payés par les utilisateurs vers n’importe quelles adresses

Ainsi, les détenteurs de tokens peuvent voter sans avoir besoin d’une connaissance exhaustive du projet, et les attaques de gouvernance représentent un risque moindre.

D’autres formes de gouvernance sont possibles, notamment avec des NFTs ou un NFT équivaut à un vote. Mais c’est encore trop expérimental pour considérer ce modèle comme pertinent.

En conclusion

Nous avons l’habitude de parler du “trilemme de la blockchain” (décentralisation, scalabilité, sécurité) où nous sommes contraints de sacrifier une caractéristique au profit des deux autres.

D’un certain point de vue, la gouvernance fait aussi face à un trilemme

  • Utilité : l’influence d’un token sur un projet
  • Décentralisation : indépendance des acteurs et absence de leadership
  • Pilotabilité : capacité à prendre des décisions rapidement

Il est nécessaire de prendre en compte ce trilemme en fonction du projet qu’on souhaite construire dans l’industrie de la blockchain.

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