En Juillet 2025, un cadre réglementaire spécialement dédié à l’industrie des stablecoins a été adopté aux Etats-Unis. C’est la première réglementation en vigueur dans le monde qui soit consacrée à des actifs imitant des monnaies fiduciaires, mais qui fonctionnent avec une autre technologie, en l'occurrence la blockchain.
Les médias traditionnels n’en parlent pas plus que ça, mais ce cadre réglementaire représente quelque chose de bien plus grand : la séparation de l’argent et de l’Etat, alors que les deux paraissaient jusqu’alors indissociables.
Pourquoi cette séparation représente quelque chose de grand ? Quelle est l’influence de ces réglementations ? Et peut-on considérer que cette séparation est atteinte avec cette dernière ? Nous allons tenter de répondre à ces questions dans l’édition de cette semaine.
La séparation des pouvoirs Étatiques
Avant même de parler de la séparation des pouvoirs, il faut parler de son opposé, à savoir la concentration des pouvoirs : si cette concentration permet une vision unifiée et des décisions rapides, cela a aussi mené aux abus de pouvoir et/ou des décisions inadaptées, et l’histoire de manque pas d’exemples pour illustrer les dérives lorsque tous les pouvoirs sont confiés aux mains d’une seule entité.
L’idée de la séparation des pouvoirs est donc arrivée tôt dans l’histoire. Dès l’Antiquité, Aristote avait déjà distingué trois pouvoirs essentiels dans tout gouvernement :
- Législatif, celui qui fait les lois
- Exécutif, celui qui applique et faire respecter les lois
- Judiciaire, celui qui interprète les lois et rend la justice
Ces idées seront reprises par John Locke dans son Traité du gouvernement civil (1690) publié après la seconde révolution anglaise où il préconise non seulement une séparation des fonctions mais aussi une spécialisation des entités.
Enfin, Montesquieu a définitivement théorisé la séparation des pouvoirs avec son ouvrage De l’esprit des lois (1748) qui prône une distribution équilibrée, d’où sa célèbre citation : “pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir”. On estime que cet ouvrage a inspiré la rédaction de la constitution française après la Révolution.
Aujourd’hui, il nous paraît admis que cette distribution équilibrée des pouvoirs est un principe fondateur pour nos sociétés. Mais cela a pu être possible uniquement grâce à un processus continu sur des périodes de temps très longues, et pour illustrer à quel point ce processus peut être long, il y a eu la séparation de la religion et de l’Etat en France.
La séparation de l’église et de l’Etat
Historiquement, le processus de séparation a commencé dès la révolution française où le monopole catholique a été remis en cause pour la première fois. Il s’en est suivi toute une série d’événements qui ont mené à la séparation :
- 1790 : La Constitution civile du clergé place l'Église sous l'autorité de l'État. Cela a provoqué une division radicale entre les “jureurs” qui ont prêté serment à cette constitution et les “réfractaires” qui l’ont refusé.
- 1801 : Napoléon rétablit un équilibre avec le Concordat, qui reconnaît le catholicisme comme "religion de la grande majorité des Français" tout en maintenant la liberté de culte
- 1881 : Les lois de Jules Ferry instaurent l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque, retirant à l'Église son influence sur l’éducation.
- 1901 : Le gouvernement durcit la politique religieuse et ferme des milliers d'établissements.

C’est en 9 décembre 1905 que la loi portée par Aristide Briand a été adoptée. Elle établit la liberté de conscience & de culte, la neutralité de l’Etat en matière religieuse, ainsi que la fin du financement public des cultes, marquant par la même occasion la séparation de la religion et de l’Etat.
Il faut tout de même rappeler que c’est une version extrêmement résumée de l’histoire. Il a fallu plus d’une siècle pour que cette séparation s’opère, et chaque événement majeur cité ici a fait l’objet de nombreuses critiques et de tensions à l’époque comme la “guerre des manuels” à la suite des lois de Jules Ferry, une preuve de plus qu’il s’agit d’un aboutissement d’un procédé très long et semé d'embûches.
La séparation de la monnaie et de l’Etat
On en arrive désormais à la séparation de la monnaie et de l’Etat. Si on a mentionné l’exemple de la religion juste avant, c’est car les pouvoirs de la monnaie et de la religion ont beaucoup de point communs :
- Les deux reposent sur un système de croyance collective
- Les deux utilisent des codes et des symboles pour manifester l'autorité
- Les deux servent d'outils de contrôle : la religion pour la morale, la monnaie pour l’économie.
- Créer sa propre monnaie est un crime pour un État, de même que le blasphème dans les sociétés théocratiques.
Aujourd’hui encore, créer sa propre monnaie est un sujet très sensible, et c’est Meta (anciennement Facebook) qui en avait fait les frais avec son projet Libra annoncé en 2019.
A l’origine, Libra proposait une cryptomonnaie stable, accessible via ses réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp) pour simplifier les paiements internationaux et inclure des milliards de personnes sans accès bancaire.
Quand le projet a été annoncé, cela a déclenché une vague de critiques et d’inquiétudes à l’échelle internationale. Les gouvernements, les banques centrales et de nombreux régulateurs ont vu dans Libra un risque immense pour la souveraineté monétaire des Etats, et des partenaires majeurs ont quitté le projet quelques mois plus tard sous la pression.
Ce scandale a créé un précédent : puisque les géants technologiques souhaitent se lancer dans le domaine de la monnaie, il existe un consensus politique global des Etats pour les empêcher de le faire.
Un changement de mentalité
Mais malgré tous ces obstacles, les mentalités commencent à changer car l’écosystème de la blockchain a évolué depuis, et les stablecoins sont devenus une industrie à part entière qui permet à n’importe quel individu de s’exposer à une monnaie issue de son pays ou non. Il n’y a jamais eu autant d’utilisateurs qui possèdent des dollars alors qu’ils n’habitent pas aux Etats-Unis, et cela a été possible grâce à la blockchain.
De plus, nous avons une avancée significative pour la réglementation des stablecoins aux Etats-Unis, avec trois lois dont une qui vient déjà d’être adoptée.
La première loi qui a été adoptée est le GENIUS Act qui fournit une clarté réglementaire pour les stablecoins, qui impose des normes strictes sur les réserves et qui permet aux banques et autres institutions financières de participer à ce marché. C’est cette loi qui a été adoptée.
Pour en savoir plus sur les enjeux du GENIUS Act, consultez cet article détaillé.
La deuxième loi est le CLARITY Act qui classe les actifs numériques en trois catégories, à savoir securities (supervisés par la SEC), les commodités (supervisés par la CFTC) et les stablecoins (supervisés par les deux) pour résoudre les conflits juridiques entre la SEC et la CFTC, qui ont entravé l’innovation.
La troisième et dernière loi est l’Anti-CBDC Surveillance State Act qui interdit à la Réserve Fédérale d’émettre une monnaie numérique de banque centrale directement aux particuliers. Lisez ce compte‑rendu de la signature du GENIUS Act par le Président.
Les deux premières lois ne participent pas directement à la séparation de la monnaie et de l’Etat, elles sont surtout faites pour renforcer pour intégrer les stablecoins dans le système financier tel qu’on le connaît.
Par contre, l’Anti-CBDC Act empêche directement l'intervention de l'État dans la création d'une monnaie numérique, et ça laisse de la place aux acteurs privés comme des entreprises ou des institutions pour le faire.
Bien que la deuxième et la troisième loi n’ont pas encore été adoptées, il s’agit déjà d’un événement historique, car ce qui était considéré comme interdit avant commence à être toléré par un Etat.
Les conséquences
Peut-on vraiment dire que la séparation de la monnaie et de l’Etat a été atteinte ? Pour un certain nombre de raisons, ce n’est pas le cas :
- Le GENIUS Act ne permet d’émettre que des stablecoins indexés au dollar américain, et pas des actifs qui ont leur propre cours
- Les normes imposées sont très strictes, à savoir que les stablecoins doivent être garantis par des dollars/bons du trésor américain avec une supervision conjointe de la SEC et de la CFTC
- L’Anti-CBDC Act n’empêche pas l’Etat d’intervenir sur d’autres aspects.
Certains professionnels de la blockchain considèrent même ce cadre réglementaire comme une tentative de monopole de l’Etat sur la monnaie au lieu d’une séparation.
En effet, ils considèrent le GENIUS Act comme un Cheval de Troie pour financer la dette américaine. Vu que 80% des stablecoins en circulation sont garantis par des bons du Trésor américain, les Etats-Unis sont parvenus à créer une nouvelle demande pour acheter sa dette.
On peut aussi ajouter à cela que le règlement empêche les innovations liées aux stablecoins. Dans la finance décentralisée, il y a des émetteurs de stablecoins garantis uniquement par des cryptoactifs et des stablecoins à rendements. Or, le GENIUS Act stipule que proposer des rendements à ses utilisateurs est interdit, donc l’innovation principale proposée par la DeFi se voit interdite au profit d’entreprises déjà en place qui internalisent tous leurs revenus.
Pour finir, les inquiétudes les plus fortes concernent la confidentialité des transactions. Toutes les transactions sur la blockchains sont publiques, la confidentialité des transactions reste un défi technique non résolu, et les fonds anonymisés sont considérés comme suspects. Cela peut mener à un degré de surveillance jamais vu dans la finance en général.
Une étape de plus
Peu importe ce qui va se passer, cette réglementation n’est que le début d’un changement plus grand.
Le monde financier commence à réaliser que la blockchain, et plus particulièrement les stablecoins constituent un vecteur de croissance à part entière. Par conséquent, ils établissent des cadres pour conquérir ce marché. Les Etats-Unis ont pris l’initiative, mais d’autres pays comme la Corée du Sud cherchent également à promouvoir les stablecoins indexés au won.
Les entreprises ont également tout intérêt à créer leur propre stablecoin. Étant donné que les réseaux de cartes de crédit tels que Visa et Mastercard prélèvent des frais de 1 à 4% sur les paiements aux commerçants, les entreprises pourraient doubler ou tripler leur marge en internalisant simplement les paiements via leur stablecoin.
Plusieurs entreprises se sont déjà aventurées dans le domaine bancaire sans l'admettre :
- Starbucks dispose de près de $2 milliards de dépôts via son système de fidélité.
- Apple veut rendre les transactions plus rapides et plus simples que les cartes bancaires traditionnelles avec Apple Pay
- Le projet Libra de Meta a catalysé toutes les critiques, mais peut-être que sa seule erreur est d’avoir eu raison trop tôt, et qu’il peut revenir sous un autre nom.
Au final, il est plus pertinent de voir les réglementations de stablecoins comme une étape de plus vers la séparation de la monnaie et de l’Etat. La première étape a eu lieu grâce à l’émergence de la blockchain, et les cadres réglementaires représentent une nouvelle étape.
On ne peut pas savoir où se trouvera le point de bascule, et encore moins si cette bascule se produira de notre vivant, mais la perception de la monnaie commence à changer, et les entreprises se considèrent de plus en plus comme des banques.
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